Retour sur une pêche de Noël mémorable...

Écrit par : Côme

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Temps de lecture 6 min

Lève-toi il est déjà 5h....

 

 

 

 Il est 5h30 du matin, le 26 Décembre 2020, un dernier coup de fourchette dans les restes de la bûche de Noël et nous prenons la direction du port.  

 La marée nous oblige à sortir tôt le matin, il fait encore nuit, très froid et je commence déja à regretter. Quelle connerie de se lever si tôt pour aller se geler les **** sur l’eau avec 9 chances sur 10 de ne rien prendre!  

 Un peu pessimiste et surtout très ronchon, je grimpe avec mon frère Roméo dans la voiture. Nous avons 3 cannes dans le coffre, 2 maquereaux congelés, pas mal d’hameçons, plombs, et gros leurres souples, je ne sais pas combien de couches de vêtements, et déja le nez qui coule. 


     Il fait encore nuit quand le bateau quitte le port d’Ars en Ré à 6h. Encore pour longtemps. Le soleil prévoit de se lever autour de 8h. Pas un chat, ni une mouette sur l’eau.  Nous décidons de rester à distance raisonnable des côtes avant le lever du jour et jetons l’ancre après 30 minutes de navigation, les mains glacées, au pied d’un tombant qui marque le début de la fosse de Chevarache, par 20 mètres de fond.  

 

La mer est particulièrement calme, et pas un nœud de vent ne vient caresser nos mines encore endormies. C’est déjà ça. Sur une planche en bois, nous découpons 2 belles lanières de maquereau encore à moitié congelé que nous accrochons chacune à un hameçon qui devait faire la taille de mon pouce. De là part un bon mètre de fil épais, suivi d’un plomb de 100 grammes, et on accroche ce montage bien rudimentaire au bout de nos 2 cannes.

 

 Les appâts sont au fond.  
 

 1 heure plus tard, rien d’autre à signaler, si ce n’est que les appâts sont encore bien au fond.  Bon…

 

Ce que j’aime par dessus tout avec ces pêches à la calée, c’est cette immobilité. Plus c’est calme, plus le sentiment d’imminence est fort. On s’imagine que d’un coup la canne va se plier et le frein du moulinet venir briser le silence absolu.  

 

 Et là..  “Roméo! Ta canne!!”  

   

Le bout de sa canne se met à vibrer et à se plier très légèrement, par à-coups réguliers. Quelqu’un est en train de nous rendre visite.   

 

 “C’est soit raie, soit congre. Allez, j’y vais”. Dit-il, bien réveillé cette fois-ci.  
 

Un ferrage ample, et le poisson est piqué! La canne se plie violemment et une masse lourde emporte la ligne dans le fond, vidant peu à peu le moulinet.    
 

“Doucement, il va se fatiguer.. Tu penses que c’est quoi?” Je lui sors, un peu paniqué.   

 

  “C’est lourd, ça me met peu de coups de tête. Je n’ai pas l’impression que ce soit un congre, il ne s’enroule pas autour de la ligne” 

 

 Quelques minutes plus tard, le poisson rend des forces et commence à décoller du fond. 

 

Le soleil commence à pointer de ses premiers rayons.  La lumière et les couleurs sont incroyables au moment où une grosse raie brunette perce la surface, l’hameçon bien piqué sur le coin de la bouche.  Quel bonheur de la voir repartir presque aussitôt après une petite photo. Les raies brunettes sont protégées et en quantités limitées sur nos côtes, nous prenons soin de ne pas l’abîmer et la laisser repartir sur le fond. 
 

A peine 15 minutes plus tard, encore Roméo!  


 Cette fois c’est un énorme congre qui vient engloutir une queue de maquereau entière et faire plier sa canne au lever du soleil. 

 

Celui-ci repartira aussi immédiatement à l’eau. Quel bonheur cette partie de pêche qui ne fait que démarrer! 


Sur ces belles émotions, nous levons l’ancre et prenons la direction du large, à environ 10 miles nautiques des côtes.  

 

C’est la toute première fois que nous pêchons cette épave à cette période de l’année.  Comme pas mal de trucs débiles qu’on s’imagine quand on est à terre à nettoyer nos hameçons (et qui s’avèrent souvent être faux une fois sur l’eau), cette fois on s’est dit que “peut-être que l’hiver, les poissons quittent la côte pour aller au large et se concentrer sur ces épaves.” 

 

 Et si c’était vrai?  

 

 Il nous faut compter 30 minutes pour atteindre l’épave. Le soleil est levé, la mer est toujours calme, et l’eau est teintée, troublée par une forte densité de particules en suspension. Habitués des eaux claires, on se dit alors que ce n’est pas bon signe. Puis après quelques miles nautiques, d’un seul coup un courant contraire vient bloquer cette masse d’eau trouble, pour faire place à un étendue d’eau bleue et cristalline. 

 

 “Là à 200 mètres, ça plonge!” Je crie à Roméo.  

 

 En effet, un peu plus loin, à la jonction de ces 2 masses d’eau, un groupe de sternes et fous de bassans s’est mis en chasse. Et à mesure que nous approchons, nous nous rendons compte qu’ils ne sont pas les seuls à se nourrir de ce banc de sardines.  
 


Une cinquantaine de dauphins encerclent le banc et plongent à tour de rôle pour piéger les poissons déboussolés. Nous nous approchons doucement, sans interrompre la chasse en cours, et voila que les dauphins s’approchent du bateau et se mettent à jouer dans le sillage.  

 

Nous voyons souvent ce banc de dauphins l’été, mais je n’avais aucune idée de leur présence à cette période dans des eaux froides. 

 

 Après quelques lancers infructueux dans cette agitation, nous quittons nos compagnons du jour et arrivons sur le point indiquant l’épave sur le GPS. 

 

Nous sommes seuls, et ne distinguons plus la côte.  
 


Cette épave, c’est un cargo de 67 mètres coulé en 1917 pour des raisons inconnues, et à moitié enfoui sur un fond sablo-vaseux au large de la Vendée. 


Nous sortons de gros leurres souples rouge-orange, lourdement lestés. La pêche sur une épave doit être à la fois très précise et discrète. A chaque dérive, nous prenons soin de bien contourner l’ouvrage, et positionner le bateau en amont pour déposer nos leurres sous le nez des poissons.
 

Les deux premières dérives sont vides. Pas la moindre touche. Et un autre bateau s’approche de l’épave. 

 

On se dit que ça sent la fin. S’il fait trop de bruit, c’est cuit. 
 


Mais notre voisin du jour fait les choses particulièrement bien. Nous le voyons s’arrêter 200 mètres en amont pour préparer son matériel, avant de venir tout doucement se positionner à coté de nous.

 À 10 mètres à peine. 

 C’est drôle de se dire que nous sommes perdus au milieu de l’immensité de l’océan, mais sommes obligés de rester presque collés pour bien pêcher cette épave. 

 Si collés que nous commençons à discuter. 

 

Comment ça va? 

Alors tu viens souvent ici? 

Ça a pêché un peu dernièrement? 


On commence à perdre un peu notre concentration. 

 

A ce moment-là, je ne sais pas ce qu’il me répond, mais je ressens une lourde secousse dans ma canne. 

 

Ferrage immédiat. 


Je sais tout de suite que j’ai touché un gros poisson.  Je perds quelques mètres de fil, en reprend un peu, encaisse de violents coups de tête. Ça dure 5 bonnes minutes, et nous voyons sa silhouette et ses couleurs apparaître dans l’eau sombre. Je n’avais jamais pris un lieu jaune aussi gros, il est sublime. Une gueule béante, des nageoires amples, une robe presque noire sur le dos et dorée sur le flanc. 

 

La pesée affiche 6.5 kilos. Un monstre! 



Quand nous relevons la tête, nous avons déjà bien dérivé, et notre collègue est déjà loin. Nous ne connaîtrons jamais son prénom. 

 

Il observe la scène et lève un pouce énergique en l’air, ravi d’avoir assisté à ce si beau moment.

 

 Nous décidons de conserver ce poisson, qui a bien vécu et fera un repas convivial.  


 Le reste de la matinée est plus calme. Une touche discrète en remontant mon leurre à la poupe de l’épave, rien de plus. Il est déja 11h30, on se dit que si on s’arrête maintenant, on s’en souviendra comme d’une sortie parfaite!  Il nous faut une heure pour rentrer, sourire banane accroché au visage. Une heure à repasser ces images dans nos caboches.  

 

 Quand nous montons dans la voiture, je n’ai plus le nez qui coule, et je me dis que cette année se termine pas si mal finalement...