Les confins de La Laponie Suédoise

Écrit par : Roméo Sabran

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Temps de lecture 10 min



Cela fait maintenant des mois qu’on rêve des Fjords Norvégiens, de la Laponie, ses lacs et ses rivières, ses saumons… Des mois qu’on prépare un voyage à 4, la fratrie au complet, 2 tentes, 4 cannes à pêche, 8 chaussures de rando et 15 paires de chaussette.

10 jours avant notre départ, les frontières de la Norvège se ferment, une sombre histoire de quarantaine obligatoire semble vouloir nous laisser à quai. Mais d’autres horizons nous tombent dans les bras. Vous connaissez la Suède ? 52% de foret, 92 409 lacs, 119 fleuves ? Des chiffres qui nous font tout de suite rêver, nous changeons nos billets.

22h, arrivée à l’aéroport de Stockholm. Notre plan est de ralier le cercle polaire arctique en une nuit afin de profiter au maximum des longues journées d’été du grand nord. Nous roulons donc jusqu’à 7h du matin en longeant la mer baltique pour revenir dans les terres avant de monter le camp pour quelques heures de repos, quelque part au bord d’un lac avant Jokkmokk. 

Après avoir englouties quelques myrtilles qu’on trouve absolument partout sur la mousse et le lichen des forêts, nous prenons la direction du Parc National de Muddus. Nous passons pour la première fois de notre vie le cercle polaire, les routes sont d’interminables lignes droites, comme des coups de couteaux au cœur de l’immensité verte de la forêt boréale. Nous croisons les premiers rennes, blancs, gris, noirs ou marrons qui sont pour la plupart, semi domestiqués par le dernier peuple autochtone d’Europe, les Saames. Ils sont lâchés en liberté durant l’été dans toute la Scandinavie avant d’être rassemblés pour l’hiver à l’aide d’hélicoptère en d’immenses troupeaux.

 

Petite pause pour le déjeuner ou nous sortons pour la première fois les cannes de leur étui. Nous avons choisi une petite rivière le long de la route qui s’avérait finalement être un parcours de pêche bien connu. Mais contre toute attente, nous sommes seuls au monde. Côme va pêcher la truite en amont pendant que je descends la rivière et pique quelques ombres à la cuillère. Augustin va même jusqu’à casser sur un brochet devant notre table de pique-nique. Pour un premier coup de pêche on se dit que ça promet !

En fin d’après-midi nous arrivons finalement à Muddus. Le Parc National de Muddus est une région assez vallonnée ou se mêlent, cascades, marécages, et forêts anciennes. Nous empruntons un sentier qui nous mènera jusqu’à l’extrémité sud du parc au bord de la rivière. Il faut se dépêcher de sortir les cannes car la lumière commence déjà à baisser et nous n’avons rien à manger pour ce soir… A 20h, Augustin nous pique sa première truite, beaucoup d’autres suivront et c’est autour d’un bon feu sur le pont surplombant la rivière que nous dégustons nos premières papillotes suédoises. Nous nous couchons repus, et surtout très fatigués, sous la frondaison des arbres où seul le bruit de l’eau courante et de la pluie contre la toile de tente viendront troubler notre sommeil.

 

Le lendemain s’accompagne des joies de la vie de campeur, vaisselle et douche dans la rivière, le premier « C’est horribleeeee » de Pia qui remet ses chaussettes mouillées et les premières tartines au beurre de cacahuète au coin du feu.

 

Nous partons après le déjeuner et quelques truites bien fraiches, pour le nord du parc et un trek d’environ 3h à travers la forêt afin d’atteindre ce qu’il semblerait être un refuge d’altitude. 

 

Ce qui nous impressionne le plus c’est le silence, pas le moindre chant d’oiseau, de bruit d’animaux, tout ce que nous entendons c’est le craquement des arbres morts et le bruit de nos pas sur la mousse. On chuchote presque, de peur de surprendre la vie qui nous observe surement. C’est si calme qu’un renne nous approche et nous regarde à travers les arbres, c’est surréaliste. 

 

Arrivés à la cabane en fin d’après midi nous décidons de rebrousser chemin en direction d’un lac aperçu sur la route afin d’y établir le camp pour la nuit. L’endroit est absolument magique mais malheureusement ce lac est une flaque, un marais formé par l’eau de pluie qui ne renferme pas le moindre poisson…  

 

Il est tard, les moustiques nous dévorent déjà et surtout nous avons faim. Gus et moi-même décidons de tenter une expédition vers la rivière, enclavée au fond des gorges à plus de 200m en contrebas de la falaise. Risqué mais tellement tentant, personne n’a jamais dû pêcher dans ces gorges qui doivent sûrement être infestées de poissons…. 

 

Après une bonne demi-heure de descente périlleuse, nous arrivons au bord de ces pools magnifiques, des étoiles dans les yeux. Les poissons sont bien là. A chaque lancé, une truite est piquée et nous décidons d’en ramener quelques-unes pour le diner. Un renne viendra encore nous surprendre en plein jeu de carte au bord du feu le soir.

 

Le lendemain, nous quittons la Laponie pour porter notre aventure vers la côte de la mer Baltique, à l’est. En Suède, les distances sont longues et nous avons déjà beaucoup tardé. Nous faisons escale dans l’après midi près de la rivière Hedavan où nous décidons d’installer le camp. 

 

Nous ramassons quelques champignons et chacun part de son côté, canne en main. C’est un Bredouille général alors nous nous consolons avec une belle omelette aux cèpes et quelques parties de Code Name. Finalement ce n’est pas toujours évident la pêche en Suède…

Aujourd'hui, direction Luléa. On nous avait dit beaucoup de bien de cette charmante petite station balnéaire et c’est donc le cœur en joie que nous pensions y louer un petit bateau et y passer la journée. 

 

Quelle déception… Une ville morte, pas un commerce ouvert, même pas un mignon petit port de pêche, nous échouons au MacDo local… C’est décidé, dorénavant nous viserons uniquement les parcs naturels si bien aménagés et les réserves naturelles.

 

Et nous visons juste. Après 3h de route nous arrivons à Mårdseleforsens naturreservat, un nom imprononçable certes mais un décor de rêve. La rivière Vindelavlen traverse ici un enchevêtrement d’ilots perdus au milieu des rapides et reliés par des ponts suspendus. 

 

Sur chaque ilot, un abri de bois avec un âtre pour faire du feu nous attend. Nous sommes aux anges, le coin est absolument idyllique, les eaux semblent poissonneuses et encore une fois nous sommes presque seuls…

Nous passons deux jours à découvrir ce coin de paradis, à sauter de rocher en rocher pour descendre ou remonter cette rivière magnifique. On y trouvera une forte population d’ombres, quelques truites et nos premiers brochets, même Pia s’éclate à pêcher à la cuillère et Côme et moi apercevons notre premier saumon…

Après un dernier petit déjeuner/brunch copieux au bord des rapides et quelques lancers, nous prenons la direction du Sonfjallet National Park, une terre montagneuse qui abriterait une forte population d’ours. 


La route est longue jusqu’au parc, au moins 6h que nous décidons de faire d’une traite. Rouler la nuit en suède a quelque chose de magique, la nuit est claire, les plaines et clairières laissent place à de grandes zones marécageuses ou d’immense forêts sombres et l’on ne peut s’empêcher d’imaginer tous les animaux qui arpentent ces étendues si sauvages….

 

On avait beaucoup entendu parler des élans qui prendraient l’habitude de traverser ces routes forestières sous les phares des automobilistes, et les panneaux sur le bord ne cessaient de nous le rappeler.

 

A 23h, un véritable monstre de près de 500 kilos sort des bois à seulement 10 mètres de la voiture et s’élance à travers la chaussée. Lancés à plus de 100 km Augustin pile et nous restons scotchés en voyant passer en courant cet énorme male qui a bien failli nous emboutir. Nous n’avions jamais rien vu d’aussi impressionnant, une démarche chaloupée, des pates plus hautes que la voiture et des bois larges de plus de 2m, aux vues de la taille de l’animal nous aurions presque pu passer en dessous…


Difficilement remis de nos émotions nous installons le camp vers minuit au bord de la rivière Lindell que nous découvrirons au petit matin….

Le Sonfjallet National Park est notamment connu pour le Sonfjallet summit, une moyenne montagne que nous avions décidé ce matin de gravir pour nous offrir un superbe point de vue sur la région. 

 

Les lacs et rivières en contrebas nous appellent et nous rejoignons la rivière Lindell pour une après-midi de pêche. Le rituel est toujours le même : d’abord établir le camp. Sur les berges des rivières suédoises et dans les parcs nationaux, on trouve souvent de petits abris en bois avec une réserve de bois de chauffe pour le feu et une grille sur un âtre. Un vrai paradis pour les campeurs comme nous en quête d’un minimum de confort. Une fois le camp monté, chacun vaque à ses occupations, 

 

Pia ouvre son bouquin, Côme et moi pêchons la truite pendant qu’Augustin traque le brochet. C’est également aujourd’hui mon anniversaire et je me verrai mal rentrer Bredouille un jour pareil.

A 20h faute de poisson, Pia et Augustin nous font la surprise de ramener de belles cuisses de poulet que l’on fera rôtir sur le feu. J’ai même droit à un gâteau et des bougies que m’apportent Pia, qui sort des bois en pyjama, que du bonheur.


Nous continuons notre périple jusqu’au Parc National de Hamra. L’exploitation forestière marque énormément le paysage suédois. Quoique très bien administrée, nous croisons sur notre route de nombreuses parcelles de terres ratiboisées ou des forêts de très jeunes conifères. Un pan de la forêt meurt tandis que l’autre renait, un équilibre essentiel dans ce pays ou la nature occupe une place prédominante aussi bien sur le territoire que dans les mentalités.

 

Hamra renferme en revanche les dernières forêts primaires de Suède, des bois très anciens, qui abriteraient une forte population d’ours et de loups. C’est également une lande marécageuse où il est difficile de se déplacer à pied mais où les élans aiment s’y prélasser. 

 

Encore une fois le parc est désert et après une courte marche d’environ une heure nous nous installons au bord d’un bras de rivière non courante recouvert de nénuphars.

 

Devant nous, des tourbières et des joncs jaunes et ocres à perte de vue parsemées de quelques groupements de bouleaux avec en toile de fond la forêt primaire.

Difficile de rêver mieux d’autant plus qu’on aperçoit les premiers rushs sur le plan d’eau… Une petite grenouille en surface sera idéale pour évoluer au milieu de ces nénuphars. Quelques lancers et voilà les premières perches qui pointent leur nez, ça promet. 

 

C’est encore une fois très silencieux et calme alors quand Côme lâche un grand « J’ai !! » qui résonne encore dans le parc, on a tous été surpris ! C’est un superbe brochet qui vient d’engloutir son popper au milieu des herbiers. La faim justifiant les moyens, il finira à la broche sur le feu, accompagné d’un bol de riz.

Depuis quelques jours il fait beaucoup plus froid, surtout la nuit, alors c’est toujours un peu le branle-bas de combat au moment d’aller se coucher. 

 

Pia opte pour la technique du bonnet jusqu’au menton et du double sac de couchage, Côme pour la quadruple chaussette et Gus prend sur lui…. De mon côté je suis tranquille, j’ai un bon sac de couchage.

 

Pas sûr cependant que la technique de Côme soit la plus efficace car plusieurs fois, ses cauchemars le rattrapent et on le verra tenter de sortir de la tente à 2h du matin en nage, près à se jeter dans l’eau…


Après donc une nouvelle nuit plutôt mouvementée, nous décidons Côme et moi de remonter cette rivière si prometteuse en quête de quelques brochets. 

 

Pendant ce temps, Augustin part traverser le parc à pied, une marche d’une dizaine de kilomètre jusqu’à la rivière Voxnan et Pia se repose. Sur ces terres si sauvages, on s’attend à surprendre un groupe de castor, un ours ou un élan à tout moment alors nous avançons à tâtons. 

 

Nous piquons quelques jolis brochets dans les herbes avant de rejoindre Pia pour retrouver Augustin vers la Voxnan. Au menu du déjeuner, saucisses suédoise, crème bonjour (le boursin local), et fromage blanc, aux myrtilles bien sûr. Nous passons l’après midi à arpenter la Voxnan, Pia se découvre une véritable passion pour la pêche et piquera une bonne dizaine d’ombres qui repartent à l'eau aussitôt.

C’est notre dernière soirée en suède alors autant qu’elle soit mémorable. Nous nous enfonçons cette fois encore plus loin dans le parc et traversons un ancien bois ravagé par les incendies pour arriver au bord d’une grande étendue d’eau en bordure de forêt. 

 

Chaque soir nous pensions avoir trouvé un camp plus beau que le précèdent mais celui-ci surpassera tous les autres. La Suède nous offre un dernier coucher de soleil exceptionnel sur un décor de rêve. Nous sommes là tous les 4, au coin du feu, à regarder bêtement l’horizon, un sourire aux lèvres, profondément bien…

Tôt le matin, aux premières lueurs de l’aube, nous plions le camp pour rentrer vers Stockholm, a plus de 5h de route. 

 

La brume s’étend sur la plaine et les marais ce matin alors que nous nous marchons les quelques kilomètres qui nous séparent de la voiture. 

 

Difficile de quitter ce parc sans un regard en arrière. Devant nous, la ville nous attend, le bruit, l’agitation constante et les boutiques de touristes. 

 

Après 8 jours à vivre en pleine nature, on ressemble un peu à des enfants sauvages et tous nos vêtements sentent le feu de bois. Stockholm s’avère finalement être une ville très agréable et loin des préoccupations sanitaires du moment. Nous déjeunons en terrasse avant de flâner dans les petites rues pour ramener quelques souvenirs.

Le voyage touche finalement à sa fin et c’est le cœur lourd que nous quittons ce pays qui nous aura tant donné. Il est rare aujourd’hui de retrouver des coins aussi sauvages et préservés et de pouvoir en profiter avec tant de facilité. La Suède nous restera encore longtemps en tête mais nous nous tournons déjà vers l’avenir et la Norvège nous fait un petit signe.